Par : Martin Smith, stagiaire de l’IOC, diffusion
Le cerveau est compliqué. Après un siècle de recherche, nous faisons encore de nouvelles découvertes chaque jour. Nos connaissances sur le fonctionnement de cet organe sont limitées, car le cerveau est un réseau de cellules hautement spécialisées, et les connexions changent toujours. C’est une des raisons qui expliquent pourquoi il est aussi difficile d’établir des connaissances sur les dysfonctionnements cérébraux. La protection solide du crâne humain complique davantage ce processus et fait en sorte que le cerveau est un organe complexe et dispendieux à évaluer. La recherche de traitements pour les troubles cérébraux est très semblable à un jeu de fléchettes. Toutefois, pour plusieurs de ces troubles, nous ne savons même pas à quoi ressemble la cible. Dans de tels cas, les médecins se fondent sur les preuves dont ils disposent et sont contraints d’utiliser le processus d’essais et erreurs pour déterminer le meilleur traitement disponible. Une stratégie pour surmonter ce défi consiste à identifier les troubles plus rapidement, à donner des diagnostics plus précis et à concevoir de meilleurs traitements en identifiant les marqueurs biologiques présents dans notre sang, notre cerveau et notre corps qui peuvent servir d’indicateurs de changement.
Les marqueurs biologiques, souvent nommés biomarqueurs, sont des molécules de notre corps, comme l’ADN qui comprend notre empreinte génétique, ou les protéines permettant à nos cellules de bien fonctionner. Ils contiennent de nombreuses informations qui peuvent indiquer l’état du corps à tout moment et être utilisées pour évaluer la santé ou la maladie. L’identification des biomarqueurs des troubles cérébraux est une initiative clé des programmes de recherche de l’IOC sur l’épilepsie (EpLink), la paralysie cérébrale (CP-NET), la dépression (CAN-BIND), les troubles du neurodéveloppement (POND) et les troubles neurodégénératifs (ONDRI). Chaque programme adopte une approche unique pour intégrer les biomarqueurs dans sa recherche et trouver de nouvelles façons de prédire, diagnostiquer et traiter les troubles cérébraux.
Les enfants atteints de troubles du neurodéveloppement présenteront souvent les symptômes de plusieurs maladies au fur et à mesure que leur cerveau se développe. Dans une telle situation, poser un diagnostic précis peut s’avérer difficile. Toutefois, nous savons que l’intervention précoce est l’une des meilleures façons d’aider ces enfants à s’épanouir. Ainsi, comment pouvons-nous améliorer les méthodes de diagnostic afin que les médecins interviennent encore plus rapidement? Les biomarqueurs génétiques retrouvés dans l’ADN d’un patient, comme les mutations ou même les grands changements chromosomiques, sont au cœur du Province of Ontario Neurodevelopmental Disorders Network (POND). En se penchant sur les biomarqueurs génétiques communs à tous les troubles étudiés par le POND – autisme, troubles obsessivo-compulsifs, troubles du déficit de l’attention avec hyperactivité, syndrome de l’X fragile, syndrome de Down, déficience intellectuelle, syndrome de la Tourette et syndrome de Rett – les chercheurs espèrent trouver une nouvelle façon de poser un diagnostic biologique des troubles de neurodéveloppement à l’aide de la génétique. Les chercheurs de l’IOC sont à la recherche de nouveaux biomarqueurs afin de différencier les troubles du neurodéveloppement et proposer une nouvelle méthode pour les identifier. Ils étudient l’ADN des participants de POND afin de déterminer les biomarqueurs génétiques communs à plusieurs troubles du neurodéveloppement. Jusqu’à maintenant, les chercheurs du POND ont réussi à identifier les marqueurs d’ADN communs des troubles du spectre de l’autisme qui possèdent plusieurs mutations précises. Toutefois, leur but ultime ne consiste pas à se limiter à un seul trouble. Ils espèrent découvrir des biomarqueurs communs à tous les enfants qui souffrent de troubles de neurodéveloppement afin de trouver des traitements personnalisés pour chaque enfant, peu importe son diagnostic.
Pour d’autres types de troubles, la génétique n’a pas toujours été privilégiée pour rechercher des indices. La paralysie cérébrale est le handicap physique le plus commun chez les enfants. Dans le passé, cette maladie était attribuée à une blessure survenue dans le cerveau en développement pendant la naissance ou peu de temps après celle-ci. Bien que les facteurs de risque génétique sont également tenus responsables de la paralysie cérébrale, les tests génétiques ne sont pas effectués régulièrement pour en évaluer la cause. Un effort national soutenu par NeuroDevNet, qui comprend des chercheurs du programme de recherche de l’IOC sur la paralysie cérébrale CP-NET, a mené à une découverte qui pourrait orienter la recherche dans une autre direction. La paralysie cérébrale est rarement considérée comme un trouble génétique et cette découverte donne de nouveaux indices sur sa cause et ses facteurs de risque. Plusieurs types de changements génétiques peuvent survenir. Nous en avons tous quelques-uns dans nos génomes et ils n’entraînent pas de conséquences majeures sur notre santé. Nous héritons de quelques changements de nos parents et certains surviennent spontanément lorsque l’ADN se reproduit. Lorsque des changements se produisent dans un endroit critique du génome, des syndromes génétiques peuvent en résulter. La variation du nombre de copies est un type précis de changement génétique qui consiste en un changement structurel majeur du génome causé par la reproduction ou le retrait d’une grande partie de l’ADN. Bien qu’une certaine diversité dans les variations du nombre de copies est saine, des variations particulières peuvent être responsables de certains troubles. Les chercheurs ont découvert qu’un nombre significatif d’enfants souffrant de paralysie cérébrale présentaient des anomalies génétiques reliées à la variation du nombre de copies. Ces enfants étaient plus susceptibles de présenter les déficiences motrices les plus sévères dont souffrent les gens atteints de paralysie cérébrale. Cette découverte pourrait nous lancer sur une nouvelle piste pour trouver des biomarqueurs génétiques qui aideraient les docteurs et les conseillers génétiques à discuter des risques génétiques et à diagnostiquer la paralysie cérébrale plus rapidement. Comme c’est le cas pour la plupart des troubles, l’intervention précoce est essentielle.
La dépression est un autre trouble qui présente un ensemble compliqué de symptômes aux médecins. Souvent, plusieurs tentatives sont nécessaires afin de trouver le traitement le plus efficace pour quelqu’un qui demande de l’aide, car l’évolution de la dépression est souvent inconnue au moment du diagnostic. C’est pourquoi les médecins se tournent vers l’imagerie cérébrale, l’évaluation de l’humeur et les biomarqueurs sanguins, y compris les réactions immunologiques et inflammatoires, afin de donner une meilleure définition des « types » de dépression qui peuvent exister. Le programme de recherche de l’IOC sur la dépression, le réseau de découverte intégrée sur la dépression (CAN-BIND), cherche à cerner les facteurs pouvant prédire la réponse aux médicaments antidépresseurs chez les patients. Tout au long de l’étude pilote CAN-BIND-1 sur la dépression, les participants fournissent des échantillons de sang et d’urine qui sont ensuite évalués pour identifier l’ADN et les protéines qui prédisent la réaction au traitement. Ces biomarqueurs sont utilisés pour aider les chercheurs et les cliniciens à mieux comprendre et prédire l’évolution de la dépression afin que chaque patient reçoive le traitement le plus efficace.
Depuis peu, nous constatons que les troubles neurodégénératifs tels que la sclérose latérale amyotrophique (ALS), la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, le déficit cognitif d’origine vasculaire et la dégénérescence lobaire frontotemporale ont plus de points en commun qu’on ne le pensait. Comme c’est souvent le cas pour la plupart des troubles, le pronostic peut être amélioré si le traitement débute tôt après le diagnostic. Afin que le diagnostic précoce soit possible, les chercheurs ne se limitent pas à utiliser des biomarqueurs classiques tels que les gènes, les molécules sanguines ou l’imagerie cérébrale pour identifier les biomarqueurs. Le réseau de découverte intégrée pour les troubles de dégénérescence neuronale (ONDRI) de l’IOC crée de nouveaux tests pour détecter les signes de la démence dans plusieurs troubles neurodégénératifs. Dans l’un de ces tests, l’œil est considéré comme un miroir du cerveau. Les chercheurs examinent les yeux des participants pour mesurer les changements d’épaisseur de la rétine causés par l’accumulation de bêta-amyloïde. Il a été prouvé que cette protéine s’accumule dans le cerveau des personnes atteintes de démence. Les chercheurs de l’université de Waterloo ont décidé d’emprunter un chemin différent pour découvrir les biomarqueurs : ils se sont penchés sur les changements dans l’équilibre et la démarche reliés à la maladie de Parkinson. Récemment, ils ont constaté que des changements subtils dans la démarche peuvent également être observés chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Pour les détecter, les chercheurs ont mis au point des appareils ultrasensibles pouvant déceler les changements précoces dans la démarche des patients atteints d’un trouble neurodégénératif.
Toutes ces approches s’inscrivent dans une approche collaborative qui vise à mieux prédire, diagnostiquer et traiter les troubles cérébraux. Imaginez un futur dans lequel un petit échantillon de salive ou une goutte de sang permettrait aux médecins de diagnostiquer les troubles rapidement et avec exactitude, ce qui leur donnerait la possibilité d’appliquer une thérapie sur mesure afin de régler le problème. La recherche sur les biomarqueurs aide les chercheurs à se concentrer sur certains indices qui nous aideront à démystifier les troubles cérébraux – cela nous aide à créer une cible que les médecins ont de meilleures chances d’atteindre.